De nos jours la mort semble être un sujet tabou, comme si l’aborder risquait de la faire arriver avant son heure, de l’appeler. Il n’en a pas toujours été ainsi, en témoigne l’existence des pleureuses dans les villages, qui accompagnaient les familles dans leur deuil, leur montraient qu’elles n’étaient pas seules. De nombreux peuples continuent aujourd’hui à honorer leur mort, et à célébrer cette étape comme faisant partie du cycle de la vie.
L’arrêt d’une grossesse, qu’il soit choisi ou non, la mort d’un bébé in utero ou après sa naissance, sont des moments qui peuvent être très douloureux, choquants, et un accompagnement est bienvenu pour soutenir les familles dans ce deuil.
Accompagnant du deuil
Lorsque commence une grossesse, lorsqu’on porte la vie, il y a peu voire pas d’évocation de la mort. Pourtant, nous le savons tous, naître veut dire mourir un jour, après une longue et belle vie on l’espère mais personne ne peut prévoir cela. Alors il serait intéressant d’aborder ce sujet avec les personnes enceintes, qu’elles puissent être conscientes de la vie qui les habite chaque jour, des mouvements. Et amener aussi à leur conscience qu’il n’y a pas de garantie que tout va bien se passer, que la grossesse ira à son terme et que le bébé naîtra vivant, ni même que notre enfant ne mourra pas avant nous, bien trop tôt. Le but n’est pas de faire peur, mais d’informer, et cela ne rendra pas les choses plus facile si la mort survient, mais cela donne le pouvoir aux parents de vivre la grossesse et la parentalité en profitant des petits moments, des petits bonheurs, et en ressentant de la gratitude de vivre tout cela, car chaque jour est une chance et on ne peut prévoir demain. Cela donne aussi de la confiance aux parents, c’est la vie qui va décider et ils ne sont pas responsables de ce qui advient.
En tant que doula, on peut choisir d’accompagner les familles dans la grossesse, l’enfantement, le postnatal. Mais être là dans ces moments veut dire que l’on est aussi préparée à accompagner le deuil, la mort, parce qu’on ne peut pas savoir en rencontrant la personne enceinte ce qui va se passer par la suite. Comme doula on peut promettre d’être là quoi qu’il se passe, pas que tout va bien aller.
On peut aussi accompagner les personnes qui vivent une fausse couche, une IVG, une IMG, un deuil périnatal, même si on ne les connaissait pas avant, être là pour soutenir dans cette épreuve, porter les parents. Le deuil périnatal est défini par l’OMS comme étant la perte d’un bébé entre 22 semaines d’aménorrhée et 7 jours après la naissance, mais le deuil peut concerner tous les parents confrontés à des grossesses non abouties ou après 7 jours de vie.
La doula, dans ces circonstances, va une nouvelle fois être au service des parents, répondre à leurs besoins. Il n’y a de toute façon rien qui pourra adoucir leur peine, on ne peut pas la porter à leur place ni ramener l’être perdu, on peut juste être présente. Etre plutôt que faire. Etre à l’écoute, en pleine présence. Tenir l’espace. Permettre à chacun d’exprimer ses ressentis, et les normaliser. Accompagner chacun avec ce qu’il vit, individuellement, car le vécu peut être très différent d’un parent à l’autre, et pour autant légitime. Lever les tabous, permettre aux parents de parler de ce qu’il traversent, sans jugement, sans vouloir intervenir, en les laissant poser leurs mots et non pas en plaquant nos mots sur leur réalité. Car même si on a soi-même vécu une situation similaire, on ne peut pas savoir ce qu’ils vivent et ressentent, c’est propre à chacun. Mais si c’est le souhait des parents, la doula peut aussi se mettre en retrait, les laisser vivre dans leur bulle ces moments difficiles.
Ce n’est pas parce que l’on parle de mort qu’il n’y a pas de choix à faire, que ce soit au moment d’une interruption de grossesse sur la façon dont on souhaite que cela se passe, ou au moment du décès et des décisions à prendre. Les parents peuvent être accompagnés pour recevoir toutes les informations, connaître le champ des possibles et pouvoir faire des choix libres et éclairés.
La doula va apporter un espace sécuritaire pour exprimer ses émotions, les déposer quelles qu’elles soient, et voir qu’elles sont accueillies entièrement. Elle peut aussi ressentir des émotions fortes, notamment quand le lien avec les parents était déjà fort, et elle pourra rejoindre les parents dans leurs larmes, pleurer avec eux la perte, mais elle aussi aura besoin de quelqu’un pour l’entendre par la suite, et doit avoir construit son village pour permettre cela et prendre soin d’elle.
Que ce soit pour une interruption de grossesse ou un deuil périnatal, des mots, des gestes de douceur et de réconfort seront bénéfiques pour les parents. Dans ces moments où la solitude peut apparaître, parce que les proches ont peur d’être maladroits, ne savent pas trop quoi dire, n’osent pas venir, une présence soutenante peut aider les parents à traverser cette période de grande vulnérabilité, de grande intensité. Cela peut être aussi par des repas, de l’aide dans la maison ou avec les aînés, comme pour tout postnatal, mais aussi accompagner dans les démarches, les décisions à prendre rapidement dans ce contexte si difficile et qu’on n’imagine pas parce que c’est vécu dans l’intimité, presque honteux, et on le partage pas avec les personnes autour ce qui fait que quand ça nous arrive, on n’a pas d’exemple autour de nous de ce qui se fait après un décès.
Le rôle de la doula n’est pas une recette toute faite, elle va s’adapter aux personnes et aux circonstances, elle ne peut pas comprendre ce que les parents ressentent mais elle sera là, elle ne va pas les laisser tomber dans cette période de fragilité, elle va leur apporter sa présence et son écoute avec constance, comme un ancrage dans cette tempête. Elle peut montrer aux parents qu’elle croit en eux, et qu’elle ne sait pas comment ils vont faire mais ils vont le faire.
Quelles que soient les circonstances, le moment de survenue de la mort, si elle vient c’est qu’il y a eu la vie avant.
Se souvenir de la vie
Lorsque survient une interruption de grossesse ou un deuil périnatal, il y a la mort mais il y a aussi eu la vie. Pour les parents, la vie de leur enfant a été vraiment trop courte, mais pour cet enfant là ça a été la totalité de sa vie, la complétude, il l’a vécue entièrement, pleinement.
Il peut être difficile qu’il n’y ait rien de matériel, rien de tangible pour représenter ce bébé, comme s’il n’avait jamais existé. Pour les interruptions de grossesse précoces, on peut choisir un objet pour représenter cet enfant. Lors de deuil périnatal, on peut faire des empreintes des mains ou des pieds du bébé, une empreinte du placenta, prendre des photos, faire un un bijou avec le lait maternel qui viendra sûrement. Lorsque la mort survient tôt dans la grossesse, la reconnaissance et l’inscription au livret de famille ne sont pas possibles, les proches n’ont pas connu le bébé, tout ça peut participer à l’invisibilisation, et faire ressentir une grande solitude aux parents.
Le deuil se vit par étapes, mais ce n’est pas linéaire, il peut y avoir des va-et-vient entre les étapes. Le choc et le déni, la colère, le marchandage, la tristesse, l’acceptation, font partie du processus.
On devient parent non pas quand le bébé naît, mais dès l’instant où vient à notre conscience l’envie d’accueillir un petit être dans la famille. A ce moment on quitte l’archétype de la jeune fille, qui vit pour elle, qui est amoureuse, pour celle de la mère, qui accueille, qui apporte un amour inconditionnel à ce bébé qu’elle rêve.
Et dans le deuil d’un bébé il y a aussi le deuil de tout ce qu’on avait imaginé, voir son ventre s’arrondir, les endroits où on imaginait aller enceinte puis avec le tout petit, la place qu’on lui avait faite dans notre cœur et notre maison, le parent qu’on s’imaginait déjà être. Lorsque la mort survient, c’est tout cela qui se produit, c’est pour cela qu’il y a besoin de soutien pour le tissage de ce deuil, pour continuer la route.
S’il y a une grossesse après, certaines émotions peuvent remonter, notamment lors du moment où on dépasse le stade atteint lors de la précédente grossesse, lors des surveillances foetales, ou même être présente tout du long par peur de voir la mort surgir à nouveau. Toutes ces émotions sont communes lors d’une grossesse arc-en-ciel comme on les appelle, ce pont coloré qui emmène les parents dans une autre aventure de vie. Ces émotions sont légitimes et il est intéressant d’avoir des personnes à qui en parler, qui les accueilleront avec bienveillance. Il est possible aussi de tenir un journal, en parlant au petit être qui grandit dans notre utérus, pour lui expliquer ce qui se passe, ce qu’on ressent, ou d’écrire à sa petite étoile ou à propos d’elle.
Des associations existent pour accompagner les parents endeuillés, leur permettre de rencontrer des personnes ayant un vécu similaire, avec qui ils pourront échanger et se sentir compris. AGAPA, Association Spama, Fédération « Naître et Vivre » sont présentes dans toute la France et permettent un soutien via une ligne d’écoute, un accompagnement individuel, des groupes d’entraide ou des forums de parents.
Lors d’un deuil, on peut utiliser des rituels pour aider à passer les caps.
Réclamer les rituels autour de la mort
La mort est devenue un sujet tabou, les morts ne sont plus honorés, et on l’a vue de manière d’autant plus flagrante aux débuts de la pandémie de Covid. Comme si rendre hommage à nos défunts était une perte de temps, de productivité, un passage que l’on peut négliger voire faire disparaître.
Or « Les morts sont les invisibles, mais non les absents » a dit Victor Hugo. En effet, si on ne peut plus voir le défunt, tous les souvenirs communs, les moments de vie partagés, sont bien présents à notre mémoire. Lors du décès, mais aussi pour la suite de notre vie, nous pouvons célébrer la vie de celui qui était avec nous, ami, membre de la famille ou enfant, et qu’il continue à vivre au travers de nos pensées, nos actes, nos souvenirs.
Les rituels permettent de marquer les passages, de les intégrer, d’exprimer ses émotions, d’être entouré si on le souhaite. Chacun peut construire son propre rituel, selon ce qui lui parle, ce qui l’appelle, ce qui fait sens à ce moment là. On peut faire appel à quelqu’un pour tenir l’espace de ce rituel, ou pour aider à l’organisation, ou simplement pour accompagner au cours de ce moment très beau mais qui peut être riche en émotions. Le rituel peut être un moment où l’on partage des moments vécus, des projets qu’on faisait, les émotions que l’on ressent, et voir ceux qui nous entourent nous accueillir, nous écouter, nous soutenir.
L’important dans le rituel c’est de le faire, pas que soit beau ou le décor parfait, c’est une médecine en soi. Et il n’y a pas de bonne façon de faire, ou de rituel préétabli pour un moment précis, mais ce que chacun a envie de faire en fonction de ce qu’il ressent, de ce qui lui paraît juste à ce moment là. Par exemple laisser quelque chose avec le corps sera différent pour chaque personne. Le mieux est que ce soit simple, facilement réalisable, pour que ce soit accessible.
Laisser partir le corps peut être un moment très difficile, mais laisser l’opportunité aux parents de serrer le bébé dans leurs bras, de l’habiller, de mettre avec lui des objets qui leurs tiennent à cœur, peut vraiment les aider dans le tissage de ce deuil.
On peut aussi créer un autel, c’est à dire un endroit pour se recueillir, penser au mort, on peut y mettre des objets qui le représentent, nous le rappellent ou lui appartenaient, des photos, tout objet qui fait sens, des bougies… Cet autel peut être personnel ou pour toute la famille, être visible par tous ou dans l’intimité.
Le rituel peut aussi être un soin pour chaque parent, comme on peut le faire en postnatal : massage, serrage du bassin, tisane adaptée aux besoins,… prendre soin du corps est aussi important pour les soutenir. Lors d’une mort pendant la grossesse, la mère peut rentrer à la maison avec une montée de lait, un ventre encore gonflé, des hémorroïdes, des saignements, et le corps peut être soutenu. Mais même hors de ce contexte, prendre soin du corps est aussi important que de prendre soin de l’esprit.
Les rituels sont nombreux et variés, il en existe partout, dans tous les passages de vie mais on a un peu laissé de côté ceux qui entourent la mort. Pourtant la mort fait partie de nos vies, elle y est présente et nous touche que ce soit par la perte d’un grand-parent, parent, frère ou sœur, ami, enfant. Alors il me semble vraiment bénéfique pour tous d’être accompagnés dans ces moments, de reconstruire le soutien des familles endeuillées, et de ramener dans nos vies des rituels dans ces espaces intenses.
Et toi, as-tu été confronté au deuil périnatal ? As-tu été accompagné ? Qu’est ce qui t’a aidé dans ces moments ? Connais tu des rituels, ou souhaiterait tu en savoir plus ?